Teresa Muñoz-Acosta
Voyage à San Josecito de la Dignidad
Teresa Muñoz-Acosta, la directrice de l’Association Lectures Partagées, a entrepris un voyage à la Communauté de Paix de San José de Apartadó, en Colombie. Les hameaux membres de la communauté sont les bénéficiaires de différents projets gérés sur le terrain par l’association. Teresa nous raconte sa visite à la Communauté et le moment où elle a partagé les résultats obtenus grâce à la campagne Tagua, Tierra y Agua.

10 décembre 2014
Nous arrivons à San Josecito de la Dignidad (Communauté de Paix de San José de Apartadó), village construit en raison du déplacement des populations causé par l’installation d’un poste de police au cœur de la population civile. Nous retrouvons là nos amis de tant d’années et membres de la communauté.
Il y a un an et demi, notre association a répondu favorablement à la demande de la communauté et s’est engagée à lancer une campagne solidaire en Suisse (Tagua, Tierra y Agua) afin de collecter les fonds nécessaires permettant à la communauté d’acheter, en propriété collective, les terres contiguës à la Aldea de Paz de Mulatos. Ce village se trouve au cœur de la communauté et a une grande valeur symbolique. En effet, c’est en cet endroit que Luis Eduardo Guerra, leader de la communauté de paix, et sa famille ont été brutalement assassinés. Ces terres à Mulatos possèdent les ressources d’eau nécessaires à la survie de la communauté. De plus, elles ont une valeur stratégique puisqu’elles se trouvent à mi-chemin entre Antioquia et Córdoba, les deux départements sur lesquels s’étend la Communauté. Les parcelles sont fertiles et productives, et l’eau n’est pas polluée. Toute personne qui vit dans cette région se nourrit du fruit de la terre qu’il travaille.
Aujourd’hui, il pleut énormément, bien plus qu’en d’autres occasions, et nous nous retrouvons embourbés dans la boue. Nos hamacs et moustiquaires, rangés depuis plus d’un an dans des caisses en plastique, gardent l’odeur d’humidité ; les cafards et autres insectes se promènent tranquillement partout.
Peu à peu, nous nous installons, comme souvent, dans ce qu’ils appellent « la maison des internationaux ». Ça me rappelle beaucoup ce que, en Suisse, nous connaissons comme les « Maisons de quartier ». Ici, enfants, adolescents, adultes et personnes âgées viennent quotidiennement jouer, bricoler, chanter, prendre un café et partager. Notre arrivée les attire tous comme des mouches. Ils savent également que les guitares de Cristina et Nicolas sont arrivées, ainsi que leurs chansons et les revues contenant les dernières informations provenant de la capitale. Certains veulent écouter des chansons, d’autres veulent apprendre à jouer de la guitare ou s’exercer à la lecture. Un par un, ils viennent nous saluer : Brígida, Aníbal, Héctor (les anciens), Orinson, Titis, Andrés, Brayan, Tatiana, Mayeli et beaucoup d’autres, enfants et jeunes adultes. Il y a aussi de nouveaux venus, des bébés : celui de Martica, Saida, Everlides, Blanca. Certains bébés marchent déjà, pieds nus dans la boue, et s’en sortent extraordinairement bien.
" [...] notre association a répondu favorablement à la demande de la communauté et s’est engagée à lancer une campagne solidaire en Suisse (Tagua, Tierra y Agua) afin de collecter les fonds nécessaires permettant à la communauté d’acheter, en propriété collective, les terres contiguës à la Aldea de Paz de Mulatos. Ce village se trouve au cœur de la communauté et a une grande valeur symbolique."
Une année s’est écoulée depuis le début de la campagne Tagua, Tierra y Agua. Avant de me rendre en Colombie, l’équipe de Lectures Partagées avait récolté 25'000 francs suisses. A cette somme, que nous remettons avec un chèque symbolique à la Communauté de Paix, nous pouvons désormais ajouter les généreux dons que nous avons reçus durant le mois de décembre. Ces dons nous ont permis de mettre un terme à la campagne avec un total de 32'700 CHF. Cet argent, grâce à un taux de change favorable, sera suffisant à la négociation du terrain de Mulatos, puisque l’accord de vente se chiffre à 80 millions de pesos Colombiens.
12 décembre 2014
Signature de l’accord entre Lectures Partagées et la Communauté de Paix
Le conseil interne de la communauté, constitué des membres des différents hameaux, se réunit aujourd’hui, comme en diverses autres occasions, afin d’aborder et résoudre les nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés jour après jour dans cette région.

Nous arrivons au kiosque alors qu’il fait nuit noire. Il est 22h30 et notre lanterne n’a pas résisté à l’humidité de la région. Eliecer, Gildardo, Julio, Arley, Germán et Jesús Emilio nous reçoivent chaleureusement. Après un échange d’histoires et de blagues, nous abordons le thème de la campagne Tagua, Tierra y Agua. Les membres du conseil sont très anxieux quant au résultat obtenu par le travail de l’association après avoir attendu plus d’un an.
"Les 25'000 CHF symbolisent l’espoir d’acquérir, en
propriété collective, ces terres qui sont en danger
de tomber entre les mains d’entreprises multinationales,
de groupes paramilitaires ou de cultivateurs de coca."
Le conseil est bien décidé à finaliser le plus rapidement possible les négociations avec le propriétaire foncier du terrain. Certaines multinationales, qui pour certaines bénéficient du soutien de groupes paramilitaires, sont en train d’acheter beaucoup de terrains dans cette région de Colombie, et construisent des routes afin de faciliter le transport et l’exploitation de charbon dans cette zone.

Par conséquent, il est urgent de concrétiser l’achat de ces terres. Le conseil espère pouvoir clôturer l’opération au plus tard à la fin du premier trimestre de l’année 2015. Avec la somme disponible en pesos colombiens, un contrat de vente sera signé avec le propriétaire du terrain. Par la suite, le terrain sera enregistré devant notaire au nom de la Communauté de Paix.
Nous concluons la réunion en signant un accord entre le conseil interne de la Communauté et l’Association Lectures Partagées dans lequel sont établis les critères et conditions à remplir afin de procéder au transfert des fonds récoltés grâce à la campagne.
Dans les semaines à venir, le conseil interne rencontrera à nouveau le propriétaire foncier afin de continuer les négociations. Nous avons tous espoir que les ressources d’eau pourront être sauvées et qu’en cette occasion, le bien-être de la communauté locale aura prévalu sur les intérêts des puissantes entreprises qui désirent s’installer dans la région.