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  • Mathilde Bon

Groupe d’ahorro à Quebrada Honda

Mathilde Bon a effectué un stage à Lectures Partagées en 2014. Dans ce cadre, elle a eu la chance de vivre plusieurs mois sur le terrain et de rencontrer les bénéficiaires de nos projets. Elle nous partage ici sa découverte des grupos de ahorro à Quebrada Honda.

Tricot d'objets en fique à Quebrada Honda

Ce mardi soir de novembre, comme toutes les deux semaines, a lieu la réunion d’un grupo de ahorro (groupe d’épargne), dans le hameau de Quebrada Honda, un des six hameaux participant au projet de Lectures Partagées dans le département de Nariño. Intéressés par cette initiative d’économie solidaire qui nous paraît pouvoir être une expérience bénéfique pour les communautés avec lesquelles nous travaillons, et puisque l’une des volontés de Lectures Partagées est d’essayer de favoriser la création de réseaux d’échanges de connaissances, de savoirs et d’expériences entre les habitants d’une même région, nous avons donc demandé de pouvoir assister a la réunion de ce groupe.


La réunion est prévue à dix-sept heures. Nous arrivons dix minutes en avance et sommes extrêmement surpris de voir que la majorité des participants sont déjà présents, notre propre expérience ne nous ayant pas habitué à une telle ponctualité ! Au fur et à mesure que les minutes passent, le mot multa (amende) commence à sortir de la bouche de plusieurs personnes, comme une blague qui semble être assez récurrente parmi les membres du groupe. Nous comprenons alors mieux la raison d’une telle ponctualité : tout retard ou absence, justifié ou non, coûtera mille pesos à la personne concernée. Bien plus qu’une contrainte, ce concept d’amende constitue aux yeux des participants une façon d’assurer le bon déroulement des réunions, mais aussi le moyen de constituer un « fond de solidarité » (nous y reviendrons), remplaçant ainsi l’usage des cotisations.


La réunion commence donc a dix-sept heures précises. Les habitants sont assis en cercle (nous avons été placés à l’écart) autour d’une table, sur laquelle est placée une boîte en bois, fermée par trois cadenas. Pour des raisons de sécurité, c’est chez la personne en charge de garder la boîte qu’ont lieu toutes les réunions. Pour commencer, la personne responsable de mener la réunion invite les trois personnes garantes des clés à ouvrir chacune un cadenas. Puis les comptes son vérifiés à haute voix par les deux trésoriers du groupe. L’achat d’actions peut alors commencer. Chaque participant-e achète entre une et cinq actions, d’une valeur de deux milles pesos chacune, l’achat maximum de cinq actions permettant de garantir une égalité entre les membres du groupe qui ne disposent pas tous des mêmes ressources pour épargner.

Séchage du café à Quebrada Honda

L'achat de ces actions constitue le fond d’épargne, sur lequel des prêts pourront ensuite être faits. Le fond de solidarité, quant à lui, permet d’aider l’un des membres en cas de besoin urgent, s’il se trouve face a une catastrophe personnelle ou familiale. Les prêts ne peuvent être octroyés qu’à un membre du groupe, et l’ensemble de ses membres évaluent ensemble la demande, en fonction de sa viabilité et selon une hiérarchie d’urgence des besoins (santé et éducation occupant la première place) avec un taux d’intérêt très bas. A la fin d’un cycle (d’une durée d’une année), chaque participant-e a le choix de reprendre sa part, ou de la laisser et de recommencer un nouveau cycle.


La réunion se termine sur la fermeture de la boîte, avant que se partagent café, pain, discussions, taquineries et fous-rires, démontrant que c’est avant tout un lien d’amitié qui unit tous les membres du groupe. Nous recommençons alors à exister et les participants répondent volontiers à toutes nos questions, heureux de pouvoir partager leur expérience qui dure depuis trois ans déjà. Heureux surtout de pouvoir affirmer le succès de cette expérience (en trois ans, ils n’ont jamais rencontré aucun problème) et l’aspect positif qu’elle a sur leur vie quotidienne. L’un des membres nous explique : « Dans cette boîte, on a tous nos rêves, et le fond d’ahorro (épargne), c’est une façon pour nous de pouvoir les réaliser. On a été trop habitués à recevoir, et tout de suite. Avec ce groupe d’ahorro, l’aide vient de nous mêmes, c’est nous qui construisons. On regarde l’avenir sur le long terme et on considère que la réalisation de nos rêves se fait selon un processus de longue haleine, qui requiert de la patience ».

Séchage du café à Quebrada Honda

Pour ma part, assister à cette réunion m’a fait prendre conscience de mes propres réticences et résistances à l’égard des modèles alternatifs d’économie solidaire, fondés sur le principe de collectivité. En effet, la première fois que j’ai entendu parler de ces groupes d’ahorro, j’ai d’emblée été saisie par une série de doutes : pourquoi la communauté accepterait-elle de prêter son argent à une personne en particulier ? Pourquoi ferait-elle confiance à la personne qui emprunte ? Qui serait prêt à mettre son argent en commun avec celui des autres ? etc., etc. En fait, si je suis convaincue de l’utilité de toujours questionner ce que l’on observe, je crois aussi que mes premiers doutes étaient influencés par ces valeurs d’individualisme que j’ai moi-même intériorisées et par la croyance que l’être humain n’est en fait pas vraiment capable d’avancer, de fonctionner selon des principes de solidarité, d’unité, de travail collectif. Pourtant, c’est bien justement grâce à ces valeurs-là que le groupe d’ahorro que nous avons rencontré fonctionne, et ce depuis trois ans maintenant. « C’est la confiance entre les membres du groupe qui assure son fonctionnement et sa viabilité. Sans cette confiance, l’expérience n’aurait pas pu fonctionner ». De quoi méditer…

Producteur de café à l'oeuvre à Quebrada Honda

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