Cristina Muñoz
Les choux de Yonly Jairo

C’est le soir à Matituy, nous nous reposons après une journée de réunions et de travail au jardin. Nous voyons alors débarquer les 10 intégrants du comité de la bibliothèque « Gotitas de Paz » de Quebrada Honda. Ils viennent, motivés par Yonly Jairo, connaître la donation de semences de Kokopelli. Nous chauffons alors « el agua de panela » (boisson élaborée à partir de canne à sucre, servie chaude ou froide, très répandue en Colombie) que nous leur servons avec du pain. C’est une tradition ici de toujours offrir aux visites un casse croute, hospitalité oblige. Nous sortons alors les semences et commençons à traduire les noms sur les paquets.

Nous savons par expérience que, malgré les recommandations, il y a des chances que ces semences n’arrivent pas toutes à maturité et ne puissent être reproduites. D’une part, il y a la difficulté du climat et des ravageurs, beaucoup plus agressifs dans les tropiques, qui rendent incertaine la réussite des cultures. A cela s’ajoute que beaucoup de semences européennes ne produisent pas de semences sous ces latitudes, étant biannuelles et ayant besoin de l’hiver pour fleurir. Enfin, nous savons que beaucoup de paysans dans cette région ne savent plus cultiver autre chose que du café, conséquence directe des politiques de promotion des monocultures. Nous décidons quand même de distribuer quelques sachets de semences, toujours en notant le nom des personnes qui les prennent et en faisant les recommandations nécessaires. De notre point de vue, il est en effet préférable que les semences aient la possibilité de germer, même si le succès reste incertain. En restant chez nous, dans leurs sachets, elles risqueraient de ne plus être viables ou d’être abîmées par les divers papillons, vers, pucerons qui habitent notre maison. Nous savons en outre que les formations avec la « Red de Guardianes de Semillas de Vida » vont bientôt commencer et que toutes ces personnes pourront se servir des connaissances acquises pour donner une chance à ces graines venues de loin. Yonly Jairo se montre très enthousiaste et prend un sachet de choux cabus.

Trois mois plus tard, alors qu’il nous conduit à une réunion avec le comité de Quebrada Honda, nous nous arrêtons un moment chez lui. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque l’on a vu les choux, énormes et magnifiques, pousser parmi les oignons dans son potager ! Ce sont les semences données par Kokopelli France, ces choux reproduits en Europe, qui s’épanouissent à côté de caféiers et des bananiers ! Dans son petit potager poussent aussi quelques plants de pastèque, de la coriandre et un peu plus loin, des magnifiques plantes de manioc. Nous repartons avec un sac plein de choux et de manioc que nous dégustons le jour même en rentrant. Autant vous dire que nous nous sommes régalés !

Ce genre de petites surprises nous aident à garder le moral dans les moments difficiles - oui, il y en a aussi des moments difficiles, même si nos articles ne le laissent pas percevoir. C’est ainsi que le projet que nous soutenons prend son sens et se concrétise peu à peu. Alors nous pouvons arrêter de penser un moment aux difficultés budgétaires, au clientélisme politique, aux conflits et jalousies qui nuisent aux projets communautaires. Nous pouvons enfin déguster les grands et petits succès du travail accompli.
